Chroniques de l'injustice ordinaire

Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)

Jugements expéditifs, mépris de classe, racisme et sexisme ordinaires… les violences judiciaires s’exercent quotidiennement et en toute impunité au sein des tribunaux.


Documentaires Les petits éditeurs indépendants Procès

Après un travail de recherche de plus de deux ans, cet ouvrage présente la retranscription en bande-dessinée d’audiences correctionnelles et de comparutions immédiates. Toutes ces audiences illustrées sont autant de personnes anonymes, de parcours de vie, de traumatismes et d’injustices, marquées par une justice inégale qu’il devient absolument nécessaire de questionner, et de rendre publique. Une injustice ordinaire, qui s’abat le plus souvent sur les populations les plus précaires et marginalisées. L’ouvrage aborde l’acharnement judiciaire que subissent les personnes étrangères, ou encore les militants politiques ; l’impunité des auteurs de violences sexistes et sexuelles ainsi que des auteurs de violences policières ; la répression judiciaire démesurée en matière de stupéfiants ; ou encore le recours abusif à la détention… Les choix politiques d’une justice bourgeoise, qui tente à tout prix de protéger une société inégalitaire, capitaliste et patriarcale, au nom du maintien de l’ordre établi. Cet ouvrage rassemble ainsi des observations et des analyses à la fois sociologique, juridique et politique sur les (dys)fonctionnements de l’institution judiciaire.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 12 Octobre 2023
Statut histoire Histoires courtes 1 tome paru

Couverture de la série Chroniques de l'injustice ordinaire © Massot Editions 2023
Les notes
Note: 4/5
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03/11/2024 | Noirdésir
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« La France traverse la période la plus répressive de son histoire récente en temps de paix. Elle épargne volontiers les catégories dominantes et touche durement les classes populaires. » Cet extrait de l’introduction de l’auteure, citation de Didier Fassin (chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, et par ailleurs auteur de « Punir : une passion contemporaine » - livre dont la lecture m’avait fortement marqué, et que je recommande à ceux qui veulent aller plus loin que la lecture de cet album) illustre très bien la réalité d’une justice qui s’écarte des principes réaffirmés de façon creuse par médias et dirigeants politiques. Comme le rappelle l’auteure dans son introduction, « 1% viols déclarés conduisent à des condamnation – en prenant en compte que seules 10% des victimes déposent plaintes et que 70% de ces plaintes se trouvent classées sans suite, ou encore 70% des signalements de la Cour des comptes concernant des infractions économiques et financières conduisent à des classements sans suite, non-lieu ou relaxe ». Par contre, comme cet album le montre, la répression des atteintes aux biens ou d’usage de stupéfiants, la répression des personnes étrangères ou des militants politiques s’accentue et encombre les prisons (privant au passage les détenus – condamnés ou pas – à nombre de leurs droits élémentaires). Ana Pich a arpenté durant plusieurs années les salles d’audience, pour finalement se concentrer sur les comparutions immédiates, là où en fait l’inégalité de traitement est la plus criante. L’album est une suite de comparutions, durant lesquelles juges, procureur, prévenus, avocats s’expriment (l’auteure rappelle à chaque fois le droit, les règles, pas la peine d’être spécialiste du droit pour suivre ces exemples). La lecture de ces moments mis en lumière est édifiante. Autant policiers, personnes ayant un statut social élevé (ces dernières étant rarissimes en comparution immédiate) sont traités de façon très sympathique, avec un a priori plus que favorable, autant les militants politiques, les étrangers, les pauvres (si vous cumulez ça fait mal !) le sont de façon extrêmement sévère, leurs droits n’étant pas toujours respectés, loin s’en faut. Et ces jugements à l’emporte-pièce ne sont que la surface émergée de l’iceberg : en effet, les lois sont déjà favorables à certaines catégories de la population, police et justice s’intéressent surtout à certains types d’infraction. Et, en comparution immédiate, parfois après une nuit blanche en garde à vue, sale, pas lavé, avec un avocat commis d’office qui n’a eu accès que tardivement au dossier, avec des juges et des procureurs aux a priori de classes plus que marqués, les sanctions sont souvent lourdes. La quasi absence des catégories sociales favorisées (y compris pour trafic et consommation de stupéfiants), la quasi absence de sanction des violences policières (les victimes étant souvent transformées en accusés – un peu comme pour les violences sexuelles) sont aussi édifiants. L’ouvrage peut paraître rébarbatif, répétitif, et le dessin (sorte de dessin de presse se focalisant sur les personnages, avec décors absents – mais c’est lisible et fluide) n’est pas fouillé. Mais la lecture de cet album, aussi révoltante soit la négation des principes de la République qu’il illustre, est fortement recommandée. Il illustre ce que Loïc Vacquant avait montré dans son livre « Punir les pauvres » (lecture que je vous recommande aussi). Bref, on a là une étude sociologique intéressante sur les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire. Un ouvrage engagé certes – dans la lignée de Vacquant ou Bourdieu – mais salutaire.

03/11/2024 (modifier)