La Menace venue du cosmos - La Croisière de l'art
C’est un désastre ! Depuis qu’une météorite s’est écrasée dans la forêt, des dizaines de personnes abandonnent leur travail pour se consacrer à la création artistique.
Les coups de coeur des internautes Les petits éditeurs indépendants Perles rares ? Roman-photo
Aucun secteur professionnel n’est épargné : le virus de l’art se répand comme une traînée de poudre. Convaincue que des cellules extraterrestres infiltrées dans le cerveau des humains sont la cause de cette vague de démissions, Amélie mène l’enquête.
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Date de parution | 06 Octobre 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Écraser les autres pour se retrouver sur la plus haute marche du podium ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, racontée sous la forme d’un roman-photo. Sa parution date de 2023. Il a été réalisé par Nicole Augereau pour le scénario, la direction d’acteurs, le montage. Elle joue le rôle principal, celui d’Amélie. La page de crédit fait état de vingt-six acteurs, et de sept personnes ayant accepté de prendre l’appareil photo que l’autrice leur tendait. Elle remercie également tous les participants et organisateurs-rices de La croisière de l’art, qui ont accepté de poser sous son objectif. Enfin, une page est dédiée à lister les œuvres présentes dans ce livre, c’est-à-dire des œuvres d’art contemporain. Amélie se tient au beau milieu d’une zone totalement dégagée d’une forêt, tous les arbres étant couchés à même le sol. Elle se lance dans un long monologue, commençant par enjoindre à regarder ce désastre ! Depuis qu’une météorite est venue s’écraser dans la forêt, les habitants sont tous témoins d’étranges phénomènes. Elle ne parle pas de l’internet coupé et de tous les accès bloqués, elle parle des gens ! Une voisine employée de hot line qui plaque tout pour apprendre l’opéra. Un ami conseiller bancaire qui démissionne brutalement pour faire des sculptures en fil de fer. Le rapport avec la météorite ? Elle ramasse un morceau d’écorce à même le sol et elle le brandit à bout de bras. Et ça c’est quoi peut-être ? Ce bout d’écorce déchiqueté est complètement infesté. Elle s’écrit : Oh non, ils me montent sur le bras ! Saleté d’aliens ! Ils vont transformer tout le monde ! Yeeeerk ! Elle va prouver au monde entier qu’en plus du réchauffement climatique, de l’arrivée des fascistes au pouvoir, des virus mortels et des guerres nucléaires, un nouveau péril menace ! Elle est une lanceuse d’alerte ! Ils ne l’auront pas ! Amélie se tient sur un pont en pierre, avec un village derrière elle. Elle explique : Ici, on est dans son petit village si typique, avec sa forêt, son lac et son château. Typique ? Plus pour longtemps. Elle emmène le lecteur dans un rassemblement d’individus qui se sont fait retourner la cervelle par les amis venus de l’espace. À juger par soi-même… Un homme est assis à une table en extérieur, sous un parasol avec une demi-douzaine de personnes assises sur des chaises, en train de l’écouter. Il se présente : avant, il était ingénieur électronicien dans l’armée. Tout était secret défense, il ne devait rien dévoiler de ses activités, même à sa femme. Il travaillait sur des appareils qui permettaient de repérer un type armé d’un couteau à huit kilomètres de distance. À cinquante-neuf ans, il a tout arrêté et il s’est mis au dessin. Il continue : On peut se mettre à dessiner à n’importe quel âge et n’importe où, sur des bouts de carnets, des boîtes, des pots de yaourt. Il faut être décomplexé, spontané. Ne pas se juger, accepter les imperfections. Le dessin, c’est une interprétation du réel, il faut dessiner ce qui vous inspire, n’importe quoi. Le dessin qu’on faîtes ne plaît pas, le voisin l’aimera peut-être. L’éditeur FLBLB continue de publier régulièrement des romans-photos, dans des genres différents : ici, le lecteur découvre une histoire d’anticipation. Une femme, Amélie, est persuadée d’avoir détectée une invasion extraterrestre sournoise : des sortes de micro-organismes dont elle est la seule à avoir conscience de la présence. Les personnes dont le cerveau est infecté abandonnent leur travail pour se consacrer à la création artistique. C’est une catastrophe : une vague de démissions impacte tous les domaines de l’activité économique et administrative. Le personnage effectue ses remarques à haute voix sur ce qu’elle observe, comme si elle s’adressait en direct au lecteur. Ce dernier l’accompagne alors qu’elle rencontre des individus s’étant reconverti : un ingénieur électronicien en dessinateur, une femme et un homme ayant dessiné une faille dans un mur qui part d’en haut et qui descend jusqu’en bas, si on la fixe, on finit par ne voir plus qu’elle, la responsable du planning à l’agence d’intérim en personne écoutant les plantes et consignant leur histoire sur un carton, la dame qui fait visiter les maisons à l’agence immobilière en créatrice de toile faite avec le suc des plantes, l’employée au garage Renault en artiste dans une démarche artistico-médico-globale, etc. L’intrigue prend la forme d’une enquête au cours de laquelle Amélie rencontre des habitants qu’elle a l’habitude de côtoyer, avec des séquences oniriques, la visite d’une exposition d’art contemporain, et une sortie en kayak. Ce roman-photo met en œuvre les formes narratives d’une bande dessinée : chaque photographie correspond à une case, celles-ci sont disposées en bande. Majoritairement, les pages comprennent deux bandes, avec régulièrement une disposition de deux bandes de deux cases chacune. L’autrice utilise une fois une photographie en double page ; elle a recours à une photographie en pleine page à onze occasions. Elle a conservé la forme carrée ou rectangulaire de chaque photographie, avec des bordures ondulées lors des séquences de rêve. Elle ne semble pas avoir usage d’effet spéciaux pour modifier les photographies, sauf pour l’éclairage bleuté d’une séquence. Le lecteur suit Amélie dans différents lieux du village : tout d’abord dans la forêt en extérieur, puis sur cette terrasse publique ombragée, dans un grand parc, dans une chambre à l’étage, devant une maison sur pieux, à l’intérieur d’un bâtiment public abritant une exposition d’art contemporain, dans une zone ombragée au bord d’un lac, et enfin sur le lac lui-même en kayak. Le lecteur apprécie la belle lumière de l’été, la douce chaleur qu’il ressent en regardant les tenues estivales des personnages. Il se rend compte qu’il rencontre beaucoup de monde, vingt-six personnes recensées dans les crédits, tout cela donnant une sensation de grande liberté, à l’opposé d’une impression de production étriquée faute d’un budget riquiqui. Dans cette narration naturaliste, le lecteur voit Amélie brandir un morceau d’écorce en page cinq et s’alarmer du fait qu’ils lui montent sur le bras. En prenant le temps d’examiner la photographie, il constate qu’il ne distingue rien qui pourrait le renseigner sur ces Ils. En page huit, l’ingénieur reconverti en dessinateur expose ses convictions : On peut se mettre à dessiner à n’importe quel âge et n’importe où, sur des bouts de carnets, des boîtes, des pots de yaourt. Il continue : Il faut être décomplexé, spontané, ne pas se juger, accepter les imperfections, le dessin, c’est une interprétation du réel, il faut dessiner ce qui vous inspire, n’importe quoi. Le lecteur ne détecte pas de manipulation mentale d’un organisme extraterrestre qui ferait dire n’importe quoi à cet être humain. Il se rend compte qu’il a mordu à l’hameçon : par pur automatisme, il a adopté le point de vue d’Amélie, la réalité d’une menace venue du cosmos, et il essaye d’identifier des schémas, de détecter ce qui cloche, ce qui confirme cette hypothèse. Il se retrouve hésitant car les images ne montrent rien que de très normal. Tout au plus, il peut exprimer des doutes sur les qualités artistiques des productions qui sont montrées à Amélie : le dessin d’une faille dans un mur, une dame qui écrit ce que lui raconte des plantes, des feuilles imbibées par le suc de plantes pressées et tapotées avec un marteau, un brownie décoré avec des fleurs de géranium, ou encore une sculpture inspirée de coraux marins. Dans le même temps, il fait la visite de l’exposition intitulée Nous sommes des extraterrestres, hésitant également entre le canular inventé de toute pièce, et la possibilité de son authenticité. La liste d’œuvres d’art moderne en fin d’ouvrage explicite le titre et l’artiste de chacune, ainsi que la page où elle se trouve dans le roman-photo. Il apprend qu’il s’agit de la collection du musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, dans le château de Rochechouart. Finalement, l’intrigue n’est peut-être pas aussi fantaisiste que ça, ou bien sa fantaisie s’exprime dans d’autres facettes. Alors que l’enquête progresse, le lecteur se sent balloté entre loufoque (la dame qui repère des plantes avec un cornet de papier, qui s’en approche, la saisit délicatement, entend sa petite voix si douce qui lui raconte une histoire, qu’elle consigne sur un carton qu’elle plante juste à côté), et entre remarques anodines en passant. Il y a le discours de l’ex-ingénieur sur le dessin : une forme de profession de foi sur la puissance de cette expression. Il y a cette femme qui écoute les plantes, en ayant quitté un emploi sans âme. Il écoute la sculptrice évoquer son précédent métier : Avant, elle était semi-marathonienne professionnelle, elle visait le titre de championne de France. Elle a fini par se poser des questions : Mais courir, courir, tout ça pour quoi ? Être la meilleure ? Écraser les autres pour se retrouver sur la plus haute marche du podium ? Il relève également le terme de Démissionnaire, terme apparu après les confinements conséquences de la pandémie de COVID-19, appliqué aux personnes quittant des emplois professionnels alimentaires. En pages cinquante-quatre à cinquante-neuf, Amélie discute avec l’œuvre d’art Hades (2014) de Martin Kersels, évoquant la fonction des hémisphères gauche et droit du cerveau, orientant l’interprétation de la menace venue du cosmos vers une dichotomie analytique et motrice. La fin suggère que la fonction analytique du cerveau mène vers la folie, alors que les individus étant dans l’expression de leurs émotions, de leur ressenti sont plus équilibrés. De publication en publication, les éditions FLBLB prouvent que le roman-photo peut rivaliser avec d’autres moyens d’expression dans différents genres littéraires, et peut aborder des thèmes très complexes avec nuance et subtilité. Nicole Augereau raconte une histoire d’anticipation, avec un personnage principal qui enquête sur cette menace venue du cosmos. Le mode narratif se calque sur celui de la bande dessinée, tout en mettant à profit les possibilités d’un reportage photographique dans un village et ses environs pour aboutir à une grande variété de lieux et de situations, ayant ainsi dépassé les limites inhérentes à la question de budget. Le lecteur plonge dans une intrigue à la dynamique classique, étant sûr de son interprétation, et faisant progressivement l’expérience de la réflexion sous-jacente, adulte et sophistiquée, sur l’importance relative à donner au train-train professionnel, en partie grâce à un jeu avec des créations d’art contemporain. Élégant et ambitieux.
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