Fagin le Juif (Fagin the Jew)
Découvrez la vie d'un personnage du roman de Charles Dickens, Oliver Twist.
1816 - 1871 : De la chute du Premier Empire à la Commune Angleterre Charles Dickens Comix Communauté juive Iles Britanniques Londres Points de vue Racisme, fascisme Will Eisner (1917-2005)
Le Juif Fagin, tel que l'a décrit Dickens dans "Oliver Twist", est l'un des "méchants" les plus mémorables de la littérature anglaise. Mais alors même que l'auteur se défendait de tout antisémitisme, il créait avec ce personnage le parfait modèle du "juif exploiteur". Issu de la seconde vague d'immigrants juifs à Londres, celle des Ashkenazes, Fagin de vient un témoin privilégié de son histoire, tentant de s'élever socialement. Mais, victime de préjugés, de persécutions, il ne réussira qu'à survivre en tant que prêteur sur gages. Il protègera de nombreux gamins désoeuvrés de la capitale tentaculaire de l'Empire Britannique, parmi lesquels Oliver Twist.
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Date de parution | Août 2004 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Lutte contre les stéréotypes - Dans la carrière de l'auteur, ce récit complet s'insère entre Mon dernier jour au Vietnam (2000) et La Valse des alliances (2003). La première édition de 2003, écrite, dessinée et encrée par Will Eisner. Ce tome comporte 118 pages de bande dessinée. Il s'ouvre avec une introduction de 2 pages, rédigée par Will Eisner en 2003, revenant sur le personnage d'Ebony (un enfant aidant parfois The Spirit dans ses enquêtes), sur le principe des stéréotypes visuels, et sur la responsabilité de l'auteur dans l'utilisation de ces stéréotypes. Il conclut en indiquant que cette bande dessinée raconte l'histoire de Fagin le juif, et pas celle d'Oliver Twist. Le tome se termine avec une postface de 3 pages également rédigée par Eisner, agrémentée de 2 autres pages reproduisant des gravures d'époque représentant des individus ou des personnages juifs, réalisées par Henry Wigstead (datant de 1785), Thomas de Rowlandson (1808), George Cruikshank (1837), et de gravures anonymes. Un gentleman bien habillé se tient devant un homme âgé en haillons, assis par terre dans une cellule : Fagin raconte son histoire personnelle à Charles Dickens, tout ce que l'écrivain a omis de mentionner. Il précise qu'il s'appelle Moses Fagin et que ses parents se prénommaient Abraham et Rachel. Ils venaient de Bohème dont ils furent chassés avec les autres juifs. Ils parvinrent à Londres où ils s'établirent dans cette société qui ne discriminaient pas les juifs légalement, ni ne les persécutait. La société anglaise avait déjà accueilli des juifs séfarades, en provenance d'Espagne et du Portugal, qui s'étaient bien intégrés. Les juifs provenant de l'Europe Centrale (Allemagne, Pologne) étaient appelés ashkénazes et considérés comme faisant partie d'une classe inférieure. Leur vie n'était pas simple, mais meilleure que celle qu'ils avaient connue dans leur pays d'origine. Abraham Fagin enseigna l'art de la rue à son fils : comment piéger les gogos. Pour Fagin, vint le temps de la préparation de sa bar-mitsvah, des études chez le rabbin. Il refusait de se résigner à une vie de pauvre mendiant. Un jour son père l'emmène voir un match de boxe : Mendoza (un grand boxeur juif) contre Joe Ward (un gentil). Au bout de 26 rounds, Mendoza sort vainqueur. Abraham Fagin emmène son fils à l'entrée d'une taverne où il va aller récupérer les gains de son pari. Il pénètre seul car ce n'est pas un endroit pour les enfants, demande ses gains au bookmaker, et se fait rouer de coups par lui et ses copains, juste parce qu'il est juif. Il est jeté hors de l'établissement, et rend son dernier soupir sur le pavé humide, ayant chuté sur la tête. Moses Fajin continue d'exercer ses talents dans la rue, pour subvenir aux besoins de sa mère. Un jour, il rentre chez lui avec ce qu'il a réussi à chaparder pour y trouver le rabbin qui l'attend à côté du lit de mort de sa mère. Le rabbin réussit à placer Moses chez Eleazer Salomon, un très riche marchand. Eleazer Salomon s'occupe également du fonds ashkénaze pour les bonnes œuvres, sollicitant les juifs séfarades pour faire des dons afin de construire une école juive dans les quartiers pauvres, avec pour objectif d'améliorer ainsi l'image et la réputation des juifs ashkénazes. C'est ainsi qu'un jour Moses Fajin accompagne Salomon solliciter le soutien de Benjamin Disareli (futur premier ministre). Moses Fagin obtient la permission de fréquenter une école. À 17 ans, il va travailler comme homme à tout faire dans l'école ashkénaze nouvellement ouverte. Mais il se fait mettre à la porte à la suite de sa relation avec la fille du propriétaire. L'introduction est claire : Will Eisner s'est fixé comme objectif de raconter l'histoire de Moses Fagin, l'un des personnages du roman Oliver Twist de Charles Dickens (19812-1870). Effectivement, c'était souvent sa manière de procéder pour réaliser un récit complet : se fixer un défi. Il explique que lui-même s'est rendu coupable de perpétuer un stéréotype visuel avec le jeune garçon Ebony, reproduisant des éléments caricaturaux, considérés comme banals à l'époque. Ce défi signifie deux choses pour l'intrigue : (1) l'auteur va développer des passages de la vie de Fagin qui n'étaient pas abordés dans le roman, (2) il doit se raccorder au roman. Cette deuxième conséquence en induit une autre : aboutir à un récit intelligible, y compris pour ceux qui n'ont pas lu le roman, et cohérent avec le roman pour ceux qui l'ont lu. Tel que le décrit Dickens, Fagin est individu méprisable, un voleur qui embrigade des enfants pour les dévoyer, qui les exploite, et qui en plus s'acharne sur le gentil Oliver Twist. En outre, le romancier le désigne plus souvent par le terme le juif (sans son nom), que par Fagin, ou le vieil homme, ce qui lui valut des accusations d'antisémitisme, y compris de son vivant. Du coup, la première page de la bande dessinée montre Fagin s'adressant au romancier pour lui raconter sa vie et mettre ses actions en perspective. Les 52 premières pages de la BD sont consacrées à raconter la vie de Fagin avant qu'il ne rencontre Oliver Twist, avant que Jack Dawkins ne recrute Oliver en page 68. Comme il a déjà pu le faire dans d'autres de ses romans graphiques, Will Eisner commence par évoquer le contexte historique plus large du peuple juif. Ici, il s'agit des vagues d'émigration de l'Europe vers l'Angleterre. Effectivement, il fait en sorte de ne pas évoquer un peuple juif générique, et explique qu'il y avait différentes couches sociales en fonction du pays d'origine. Pour ces deux pages, il recourt à une construction de page particulière : une illustration de la largeur de la page en haut, une en bas et un paragraphe de texte au milieu, pour évoquer des faits historiques. Il utilise ces courts paragraphes de texte (2 ou 3 phrases) à d'autres moments dans le récit, soit pour une ellipse temporelle, soit donner accès aux flux de pensée de Fagin, toujours avec cette élégante police de caractère manuscrite. Durant ces 52 pages, le lecteur suit Fagin dans son enfance : la pauvreté de ses parents, le chapardage et le vol comme seul moyen de subsistance, le placement, les coups du sort, les brimades, la colonie pénitentiaire. Will Eisner réalise des dessins en noir & blanc avec une touche de lavis gris. Il détoure les personnages et les éléments de décors par un trait noir précis, un peu plus raide qu'à son habitude. Plus encore qu'à son habitude, il utilise exclusivement des cases sans bordures, donnant une sensation de plus d'espace et d'une plus grande fluidité de lecture. Par contraste avec la majeure partie de ses œuvres, Wil Eisner utilise moins la pantomime, privilégiant une narration visuelle plus classique. Les protagonistes présentent tous une forte personnalité visuelle, premier rôle comme figurants, avec des visages expressifs et des postures naturalistes. Il représente les décors plus dans le détail que dans certaines autres de ses œuvres, afin que sa reconstitution historique soit consistante. Le lecteur passe ainsi des taudis des quartiers miséreux de Londres à la demeure richement meublée d'un marchand de premier plan, en passant par les mines, le logement pouilleux de Fagin, les rues animées de Londres, une taverne populaire, et bien sûr la cellule en prison. Le lecteur peut aussi prendre le temps de détailler les costumes d'époque, ainsi que les accessoires : la reconstitution historique est de qualité, sans verser dans la parodie misérabiliste. Les acteurs insufflent une vraie vie aux personnages, ainsi que des émotions très humaines, sans les surjouer. Le visage de Moses Fagin n'a plus les caractéristiques d'un individu ayant émigré du bassin méditerranéen, mais celle d'un individu ayant émigré de l'Europe Centrale. Arrivé à la page 53, le point focal du récit se déplace donc vers Oliver Twist, pour que le lecteur qui ne connait pas le roman puisse continuer à comprendre les événements survenant dans la vie de Fagin. Ce dernier n'apparaît donc pas pendant 14 pages d'affilée. L'exercice narratif devient alors très contraint pour Will Einser qui doit dispenser les informations indispensables à la compréhension des péripéties du roman, donner à voir le comportement ignoble de Fagin conformément au roman, et lui insuffler un supplément d'âme en réorientant quelques jugements de valeur portés par Charles Dickens dans son œuvre. À partir de là, le lecteur peut trouver qu'Oliver Twist se montre un peu envahissant en tant que personnage, aux dépens de celui qui donne son nom au titre de cette bande dessinée. Il constate également que Will Eisner parvient à conserver l'émotion du roman intacte, malgré les raccourcis nécessaires pour ne pas transformer sa BD en une adaptation. En ayant donné à voir l'enfance de Fagin au début, l'auteur a réussi à en faire un être humain à part entière, existant aux yeux du lecteur pour lui-même, et non comme version dérivée d'un roman célèbre. Du coup, quand l'histoire de Fagin rejoint celle d'Oliver Twist, le lecteur continue à le percevoir comme cet individu à l'enfance maltraitée, ayant grandi en devant faire avec les injustices et la maltraitance des adultes, et de certains de ses compagnons d'infortune. Cela n'excuse pas ses choix de vie, ou sa façon de profiter des enfants. Cela montre en revanche que sa vie a été façonnée par l'histoire du peuple juif à cette période de l'Histoire, par les conditions économiques régnant à Londres et la place réservée aux juifs ashkénazes, par une société de classe inégalitaire (mais effectivement moins pire que celle des pays qu'ils ont fuis). Moses Fagin est bel et bien sorti des stéréotypes utilisés comme raccourcis pour s'incarner en tant qu'être humain complexe. Will Eisner n'en fait pas un héros, ne cherche pas à diminuer ses fautes, mais Moses Fagin n'est plus l'incarnation de l'acharnement méchant. En considérant ce récit comme une histoire autonome, le lecteur peut trouver que la narration visuelle de Will Eisner se trouve trop contrainte par la volonté romanesque, et qu'Oliver Twist prend une importance trop grande dans la deuxième moitié de l'histoire. Mais, en fait, cette bande dessinée ne peut pas être seulement considérée comme une histoire indépendante. Il s’agit bien de l'histoire de Moses Fagin, personnage issu du roman Oliver Twist, et l'intention de l'auteur est de l'humaniser. Il l'humanise non pas en l'absolvant de ses exactions en tant que victime d'un système : il l'humanise en montrant un parcours de vie majoritairement imposé par des circonstances indépendantes de la volonté de Fagin. De ce point de vue, le récit devient cohérent et entièrement convaincant, montrant un individu complexe, et plus un stéréotype prêt à l'emploi dépourvu de substance.
J’ai eu des expériences contrastées avec mes lectures d’Eisner, que beaucoup semblent porter aux nues – ici ou ailleurs. Disons que c’est encore le cas, je vais rester en retrait de la majorité des avis précédents. La faute à une narration, que j’ai parfois trouvée sans rythme, avec des longueurs – peut-être accentuées par le dessin et la mise en page, l’ajout de longs passages avec uniquement du texte. Mais, ceci étant dit, ça reste quand même une lecture fluide et relativement agréable (et le dessin d’Eisner est très lisible). Avec un sujet qui tient à cœur à Eisner, puisque le personnage principal subit toute sa vie sa condition de juif (et pas mal de malchance, de mauvaises rencontres et de mauvais timing !), et n’arrive pas à sortir des bas-fonds londoniens. Dans la seconde partie, le personnage d’Oliver Twist prend le relais (les deux destinées se croisent et s’assemblent). Pas enthousiasmé par la narration, mais ça se laisse lire. Une petite lecture sympathique. Sans plus, mais suffisamment pour que je ne regrette pas cet emprunt.
La BD, l'illustration ou la littérature de divertissement sont des médias très puissants. Ils s'adressent à un très large public souvent jeune ou malléable qui peut manquer de discernement. "Le stéréotype constitue un outil essentiel du langage narratif de la bande dessinée, c'est aux auteurs qu'il incombe de reconnaître son impact sur le regard porté par la société." écrit le professeur Eisner dans sa préface. Dickens (excusez du peu mais il égratigne aussi Shakespeare !) a eu beau s'en défendre, le vocabulaire et les illustrations qui ont accompagné son célébrissime Oliver Twist ont contribué à fixer une image fausse et discriminatoire des personnes de religion juive dans l'inconscient collectif de nombreuses générations. Il faut bien l'immense talent graphique et narratif de Will Eisner pour pouvoir faire entendre la voix de la raison face à l'affective dévotion des fans de Dickens. "Fagin" m'a remué. Je n'ai pas lu Oliver Twist et je le découvre avec un oeil neuf. Mais quelle logique narrative, quelle ambiance de ce Londres miséreux du XIXème siècle. Pas une fausse note à mon avis dans cette implacable démonstration (par l'absurde) contre ces paradigmes qui peuvent devenir vite criminels. La démonstration est d'autant plus forte que le graphisme est à un niveau solaire. Fluidité des lignes, enchaînement des situations, regards, langage corporel, éclairages et décors, il ne manque rien pour ajouter l'émotif au raisonnable. A mon avis un ouvrage de référence pour sa préface et sa postface et la démonstration du récit. Un vrai livre de chevet pour tous les créateurs tellement chaque mot utilisé ou chaque dessin délivré peut influencer en bien ou en mal le public.
Will Eisner ne fait pas partie de mes auteurs favoris en BD, loin de là, mais certaines de ses oeuvres m'ont interpellé, c'est le cas avec ce roman graphique où il se livre à une sorte de relecture du roman Oliver Twist de Dickens, à travers le personnage de Fagin incarnant la figure populaire du juif caricatural que tous les journaux caricaturaient en donnant un stéréotype visuel aux lecteurs et au public. Ce cliché sera très durable, jusqu'à notre époque, on verra même Hergé représenter le juif gras au nez courbé sous la défroque de Bohlwinkel dans l'Etoile mystérieuse. Afin de faire cesser ce stéréotype et cette image du juif trop caricaturale dans le Londres victorien, Eisner imagine le parcours de Fagin qui l'a mené vers ce qu'il est devenu dans le roman de Dickens, en parvenant à inscrire le personnage dans la continuité du livre, c'est un brillant exercice de style qui m'a intéressé à défaut de m'avoir vraiment plu. Il faut savoir que Dickens désigne souvent Fagin sous le nom de "le juif" ou "le vieil homme" plutôt que sous son nom, ce qui prouve un antisémitisme primaire qu'on lui a reproché déjà de son vivant, mais ça relayait à cette époque à Londres, le fait que les juifs étaient stigmatisés par la société, d'où les gravures qui paraissaient dans les journaux, et même le roman Oliver Twist fut illustré ainsi pour édifier le lecteur en montrant Fagin en haillons, à l'allure grotesque, au nez crochu... ces illustrations étaient très parlantes, la tâche d'Eisner semblait donc difficile pour réhabiliter l'image du juif. Ce petit album raconte avant tout l'histoire de Fagin et non celle d'Oliver Twist, même si les 2 sont liés, en fait Fagin raconte son histoire à Charles Dickens depuis sa cellule avant d'être pendu. La première partie est celle que l'écrivain n'a pas reprise dans son roman, c'est une vie de misère depuis l'enfance où Eisner développe des étapes et des passages de vie de Fagin, c'est le défi d'Eisner en même temps qu'il se fixe pour objectif de rendre ce récit lisible aussi bien pour ceux qui n'ont pas lu le roman que pour ceux qui l'ont lu. Vu par Dickens, Fagin est l'émissaire du mal qui subit la punition de ses fautes, un être sinistre et méprisable, un receleur impitoyable et sardonique qui se sert des enfants pour les dévoyer. L'intention d'Eisner est de l'humaniser, mais non pas en l'absolvant de ses méfaits, mais en tant que victime d'une société qui l'a toujours rejeté, ça n'excuse pas ses fautes mais son parcours de vie lui est imposé par la façon dont sont perçus les juifs par les Londoniens à l'époque. Le mérite d'Eisner est de ne pas avoir cédé à l'adaptation d'Oliver Twist, en cela, la démarche est originale, même si dans la seconde partie, le personnage de Twist prend le relais, les 2 histoires se combinent ensemble, c'est un bel ouvrage. Au niveau graphique, c'est fluide, précis et finement relevé par une touche de lavis par endroits, avec des décors détaillés et certains cadrages insolites, donc ça me plait sur ce plan.
Je commence à découvrir le travail de Will Eisner, auteur encensé outre Atlantique, et je dois dire que j'aime bien son travail. Dans ce nouvel opus, Eisner s'attaque à nouveau à l'image que la communauté juive renvoie, et plus particulièrement avec le personnage de Fagin le juif, dans Oliver Twist. Pour ma part je n'ai jamais lu le livre de Dickens, mais j'en connaissais vaguement les grandes lignes, et de toute façon ça n'est pas nécessaire pour lire cette BD. Et tant mieux ! L'originalité du propos est de souligner la raison qui pousse Dickens à mentionner perpétuellement Fagin comme juif avant tout. Et en s'attachant à montrer la communauté juive ashkénaze (et non séfarade) telle qu'elle était dans cette période de révolution industrielle. La représentation des quartiers pauvres, de la misère crasse et du quotidien de ces personnes permet de mieux appréhender pourquoi le terme juif était à l'époque si connoté, et surtout si mal connoté. J'ai beaucoup aimé la façon dont Eisner montre que les bonnes volontés ne suffisent pas. Sans aller à dire qu'il fait de la sociologie, il s'attache à montrer que Fagin ne fut jamais un mauvais homme, mais un homme qu'on obligea à être mauvais. Mal traité, jamais considéré, jamais aidé, il se réfugia dans la seule chose qu'il connaissait : les bas-fond d'une ville en pleine croissance. Sa vie est à l'opposée de celle d'Oliver Twist : rien ne viendra le sauver comme le Deus Ex Machina tant attendu (le collier que portait Oliver Twist dans son cas) et il mourra dans la même misère que celle où il vécut. C'est une part de réalité bien sombre, malheureusement bien trop courante à cette époque (et pas forcément moins courante à la nôtre) et qui permet d'expliquer que tout ceci n'est en rien dû à sa religion, mais à la société qui existait. Et le message est sacrément louable, surtout lorsque Fagin interagit avec Dickens. Niveau dessin, je trouve encore que Eisner a un style très "souple" dans les corps, comme si tout bougeait en permanence. C'est assez étrange à mon goût, comme certains vieux Disney où les postures et les corps sont très mobiles, de toute part. Mais ce n'est pas dérangeant, et le trait supporte très bien l'histoire. Les détails sont parfois un peu confus, cela dit. Ce que j'ai bien aimé, c'est que cette histoire a un message important, aussi bien pour l'auteur que pour nous, et rappelle que si nous stigmatisons une partie de la population derrière un terme, il est peut-être bon de se pencher sur les raisons qui ont amené ce terme à coller à eux. Aujourd'hui, il est mal vu de parler en mauvais termes des juifs, mais remplaçons Fagin le juif par Mohammed le beur et nous aurons une histoire tout aussi actuelle. Une belle façon de permettre aux lecteurs de réfléchir au sens des stéréotypes dans les ouvrages de fiction, et également de comprendre pourquoi la lutte contre eux est importante.
''Oliver Twist'', une lecture de jeunesse dont je ne garde pas un grand souvenir, c'est plutôt par le biais d'adaptations cinématographiques que j'ai encore quelques bribes de souvenirs. Fagin ne fait pas partie de ceux là, de même il faut dire que ces adaptations réservées à la jeunesse étaient propres et lisses, en ce temps là ce n'était pas le réalisme de l'époque qui devait venir perturber nos chères têtes blondes. Will Eisner cherche à réhabiliter un personnage du roman et pas des moindres puisqu'il s'agit de Fagin, receleur, usurier et persécuteur d'Oliver. S'il n'y avait que cela mais Fagin est juif et Dickens, l'auteur du roman, pour décrire son personnage s'est appuyé d'une part sur l'iconographie de l'époque et d'autre part nul doute qu'il a forcé le trait pour rendre Fagin encore plus détestable aux yeux des lecteurs. A ce titre les dernières pages de la BD expliquent bien que l'on ne peut taxer Dickens d'antisémitisme, ses prises de positions en d'autres lieux parlent pour lui. Je n'ai que peu de choses à dire sur la BD en elle même, on retrouve le trait virtuose, fluide d'Eisner. J'ai particulièrement apprécié l'apparition de Dickens en tout début et fin d'album. Cette œuvre mérite plus qu'un coup d’œil et retranscrit à merveille le Londres de la fin du XIXème siècle.
C’est en examinant les illustrations des éditions originales d’Oliver Twist que Monsieur Eisner, lui-même d’origine juive et contemporain de la Seconde guerre mondiale, se mit en tête de combattre les stéréotypes persistants sur l’ethnicité juive, notamment en publiant cette BD inspirée du célèbre roman victorien. Faisant preuve d’honnêteté, il reconnaît lui-même avoir été victime de ce type de préjugés à ses débuts en mettant en scène un jeune afro-américain dans sa série The Spirit, ce qui l’oblige à une certaine indulgence vis-à-vis de Dickens. Lorsqu’il le fait intervenir comme personnage à la fin de l’histoire, il laisse éclater sa colère contre l’écrivain anglais par le biais de Fagin, décrit dans Olivier Twist comme un « criminel juif », mais se met également dans la peau de Dickens en lui faisant dire que si son roman manquait d’équité, il avait été écrit sans arrières pensées antisémites, seulement pour témoigner d’une réalité sociale. Il faut savoir qu’à l’époque de sa publication, son auteur avait tenté de modifier les passages les plus sensibles, mais il était déjà trop tard… On comprend l’agacement de Will Eisner en consultant ces illustrations du XVIIIème et XIXème siècles reproduites à la fin du livre, tout à fait conformes à l’odieuse propagande hitlérienne mais peu dérangeantes avant la Shoah. Bien que vivant sur le sol européen, les Juifs y sont systématiquement dépeints avec des traits sémites, le corps vouté et la mine patibulaire, ayant toujours l’air de manigancer une affaire juteuse, tandis que les « Européens » ont fière posture, sont dotés d’un visage rond et un nez fin. A cet égard, Eisner nous prodigue un petit cours judicieux sur l’histoire du judaïsme en Angleterre, rappelant que les premiers Juifs venus dans ce pays étaient séfarades et, ayant dû fuir l’Inquisition en Espagne et au Portugal, purent s’assimiler sans mal à la faveur d’un commerce florissant. A l’inverse, les Ashkénazes, chassés par les pogroms d’Allemagne et d’Europe de l’est, n’arrivèrent que beaucoup plus tard (au XVIIIème). Si leur physionomie pouvaient les faire passer inaperçus dans la population, ils étaient en revanche appauvris et analphabètes, ce qui les confinait dans des quartiers sordides où ils devaient voler pour survivre. Pour Dickens, Moses Fagin ne pouvait être qu’ashkénaze, donc loin du portrait qui en a été fait dans Oliver Twist, et c’est ainsi qu’il l’a représenté dans sa bande. A partir de ce personnage, Will Eisner a ainsi recréé un récit à part entière, où l’on suit avec empathie le vieux bandit depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse (alors qu’il vient d’être condamné à la pendaison), en passant par son séjour au bagne. C’est mené tambour battant, avec ce sens du rythme et de l’ellipse propre à l’auteur qui sait comme personne conter des histoires avec cette charmante touche désuète. En noir et blanc comme d’habitude, le trait, précis et enlevé, est toujours agréable à détailler. Une œuvre salutaire à lire voire à enseigner dans les écoles !
Quelle déception ! Je m'attendais à un bon roman graphique de Eisner, mais ce ne fut pas le cas. La première partie racontant la vie de Fagin avant sa rencontre avec Oliver Twist ne m'a pas vraiment intéressé. Je trouvais les situations où Fagin se fait discriminer parce qu'il est juif très répétitives même si cela semble malheureusement proche de la réalité des juifs de cette époque. Ensuite, nous avons droit à un résumé du roman qui ne m'a pas captivé car j'ai déjà lu le livre original. Je ne voyais donc pas l'intérêt là-dedans étant donné que je savais ce qui allait se passer. La fin avec Fagin qui sermonne Dickins est très bonne, mais c'est trop peu pour sauver l'album.
Encore une fois, Will Eisner me surprend véritablement. C'était une tâche bien audacieuse que de réécrire sa version d'une oeuvre de la littérature anglaise aussi connue qu'Oliver Twist. Personnellement, je ne savais pas que Fagin était d'origine juive et que cette oeuvre avait galvanisé un sentiment stigmatisant cette population déjà bien martyrisée par l'Histoire: Will Eisner apporte toujours un éclairage très instructif. C'est comme si l'auteur avait voulu réhabiliter ce personnage bien méchant dans la version d'origine. L'exercice de style était difficile et c'est pourtant un pari réussi. L'auteur parvient à nous surprendre. Il va plus loin que le stéréotype classique en expliquant le pourquoi des choses et comment le destin d'un homme peut basculer pour presque rien. Oeuvre qui prouve qu'en BD, on peut mêler à la fois la rigueur, l'exigence et l'imagination. Une incontestable réussite ! Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
Cet exercice de style est intéressant car on s’attarde un peu plus sur le personnage de Fagin, un des héros du livre « Oliver Twist » de Charles Dickens, décrit par l’auteur comme un Juif ignoble. Eisner centre son travail sur le passé de ce personnage. Ce qui m’a surtout plu dans ce beau roman graphique, ce sont les dessins d’Eisner. L’ambiance victorienne est très bien rendue, la documentation est précise. On en apprend beaucoup sur la situation des Juifs Sépharades et ashkénazes dans la ville de Londres. Il insiste sur la paupérisation de cette communauté. Il analyse les rapports entre les Juifs riches et les Juifs pauvres ; seuls les premiers étant bien intégrés dans la société. Il explique ainsi les raisons qui ont poussé Fagin à devenir le receleur fourbe qu’il est dans le livre de Dickens. D’ailleurs, j’ai parfois trouvé qu’Eisner multipliait un peu trop les malheurs de Fagin, ceci nous permet, cependant, de bien comprendre ce personnage plus complexe qu’il n’y parait. Un livre important d’un des plus grands maîtres de la bande dessinée américaine qui est aussi un vrai plaidoyer pour la différence et contre l’intolérance.
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