Rivage
Une petite île oubliée au large du Japon, peuplée par une communauté assez rustique (nous sommes aux alentours de l’an mille) ; un volcan, qui occupe tout le centre de l’île, et commence à se réveiller ; et l’arrivée d’une belle et énigmatique étrangère, perdue sur ce bout de terre à la suite d’un naufrage... Que va-t-il se produire ?
Akata / Delcourt Catastrophes naturelles Coupés du monde... L'Océan pacifique La BD au féminin : le manga Shogakukan
L’île du démon est un minuscule bout de terre perdu dans l’immensité du Pacifique, au large du Japon, mais bien trop loin pour que ses habitants puissent l’atteindre. Bien trop loin, même, pour qu’ils se souviennent de son existence, hormis par de vagues légendes, bien qu’ils soient tous d’origine japonaise, probablement échoués sur cette île à la suite d’un naufrage. Tous ce qu’ils peuvent apercevoir à l’horizon, par beau temps, c’est une autre île, tout aussi inaccessible que le Japon, car sur l’île du démon, on ne trouve aucun bateau apte à faire la traversée en haute mer... Or voici qu’on recueille une naufragée. Vêtue d’un magnifique costume, disposant de connaissances que n’ont pas les habitants de l’île du démon, elle est issue de la civilisation d’Heian (de l’ancien nom de l’ancienne capitale Kyoto), alors à son apogée (le livre nous indique que l’action prend place durant l’ère Kannin, et une note nous précise que celle-ci dura de 1017 à 1021). Venue de la capitale elle-même, la jeune fille, Manamé, n’aura de cesse de tout mettre en œuvre pour quitter cette île et ces « rustres » dont elle ne partage que la langue, mais ni les coutumes, ni les usages, et qui, pour elle, ne se différencient guère des sauvages (l’impression tenace qui risque fort de tenir aussi bien les lecteurs japonais qu’occidentaux, c’est d’avoir affaire à une civilisation des îles du Pacifique, plutôt qu’à un morceau détaché du Japon, tant l’état de la culture japonaise qui y a survécu est primitif). Mais, voici que le volcan de l’île du démon se réveille, par petites touches de plus en plus inquiétantes. Bientôt confrontés à un enjeu majeur, la petite communauté va non seulement devoir lutter pour sa survie, mais aussi se décider quant à l’étrangère, qui, en tant qu’étrangère, est forcément suspecte : sa venue est un signe divin, certes, mais manifeste-t-elle le courroux des dieux qui exigent son sacrifice ? Ou est-ce au contraire, un acte de la bienveillance divine que la présence de cette naufragée qui connaît tant de choses ?
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Date de parution | Juillet 2006 |
Statut histoire | Série terminée 5 tomes parus |
Les avis
Je brise les douze années qu'aura passé ce manga dans la section des perles rares en apposant mon avis, qui ira plus ou moins dans le même sens que celui que j'ai mis sur Initiation. Car ce manga ressemble fortement à son confrère, sur le fond plus que sur la forme. Déjà, je souligne que l'auteure à amélioré son trait ici, avec des visages moins rigides et plus expressifs, surtout de manière plus simple. Les décors continuent d'être travaillés et c'est plaisant à lire. Je ne l'avais peut-être pas assez souligné sur Initiation, mais le dessin contribue énormément à installer l'ambiance du récit, avec notamment une graduation de l'urgence. C'est bien mené d'un bout à l'autre. Pour le récit, on a encore une fois quelque chose d'apparence simple mais qui va aller chercher la complexité à travers le prisme de la nature humaine. C'est un manga qui prend le temps de développer des personnages non-manichéen, avec toutes les facettes de ce que peut comporter une humanité. C'est clairement un microcosme regroupant les caractères humains. Le sentiment d'urgence qui traverse le récit va mettre en exergue ces comportements qui iront toujours plus loin dans l'affirmation. Et tout cela donne lieu à une histoire singulièrement anthropologique. On ne suit pas tant des personnages que des archétypes dans une situation donnée. Certains clichés ne seront pas évités (comme la cheffe de communauté dure mais désireuse de la sauver) mais ils sont nécessaire pour étayer l'intrigue qui tournera autour de nombreuses autres questions. Car le récit est riche, très riche : acceptation et peur de la différence, mysticisme, religion, liens familiaux, orgueil, lutte de pouvoir, jeunesse et vieillesse, lutte pour la survie, ... On est dans pas mal de thèmes à la fois, qui sont tous traités sans qu'on ne s'attarde dessus mais sans qu'on ne les balaye non plus. L'histoire avance en se reposant sur de nombreuses thématiques qui apportent un poids à la narration. Car, au final, j'étais moins intéressé par la question de la survie du groupe que de la façon dont elle s'organiserait. Ce manga est une excellente série, et je trouve qu'elle va de paire avec Initiation. C'est deux histoires bien différentes et des thématiques qui n'ont rien à voir, mais il se dégage un même sentiment des deux œuvres. Une interrogation sur l'être humain et son organisation politique. Ce n'est pas un précis d'anthropologie, mais une fiction qui soulève de nombreuses questions. Et je ne parle pas des personnages qui sont déjà une très bonne excuse pour lire les cinq tomes. C'est innovant, avec beaucoup de bonnes choses. C'est le genre de curiosité que j'aime lire !
Pour une surprise, voilà une excellente surprise... Après Initiation, je ne pensais pas vraiment relire un manga d’Haruko Kashiwagi. Certes, Initiation est fort bien mené, l’histoire prenante, palpitante et angoissante. Mais, angoissante, elle l’était justement un peu trop à mon goût. Je n’avais, de plus, pas vraiment apprécié la fin, et surtout, sa communauté montagnarde ayant conservé les anciens usages me paraissait par trop un prétexte pour y développer une histoire de « sexe libre ». Enfin, le dessin de Kashiwagi, bien que doté d’une forte personnalité, n’est pas du style que je goûte le plus. Cependant, lorsque le premier tome de Rivage est sorti, c’est bien par la couverture que j’ai été attiré. Ainsi d’ailleurs que par les couvertures suivantes, qui me rappelaient qu’une œuvre peut-être intéressante m’attendait ici. Cependant, je craignais, au vu des résumés disponibles, une histoire virant à l’horreur, avec jeune femme sacrifiée à des dieux vengeurs. Mais, finalement, toujours interpellé par les couvertures, j’ai décidé de franchir le pas. Et ce pas, franchement, je ne l’ai pas une seule seconde regretté. Car les couvertures ne « mentaient » pas. En effet, centrées sur des visages (en gros plan ou en buste), ces couvertures nous rappellent que c’est l’humain, ses doutes, ses peurs, ses passions, ses angoisses, ses fêlures, ses failles et ses faiblesses, mais aussi ses besoins primaires ou moins primaires, que c’est l’humain donc qui se trouve au cœur de cette histoire. L’humain, d’abord et avant tout. Une humanité qui ressort magnifiquement de cette histoire, qui mêle habilement enjeux passionnels et personnels, à travers la jeune Torago, qui croit retrouver en la naufragée sa sœur disparue en mer, et ce malgré les évidences, ou Kururi, époux de Torago, tenaillé par le doute. Une humanité que l’on trouve jusque dans la terrible Kuroo, « sage » du village et donc son chef, attachante malgré son dogmatisme, car préoccupée d’une seule question : comment sauver la communauté dont le sort lui incombe ? Et une même humanité, aussi et cependant, chez Manamé, l’énigmatique et sensuelle naufragée, uniquement préoccupée d’elle-même. Mais ces enjeux personnels, ces conflits, somme toutes banals malgré le fin traitement qui leur est réservé, sont sublimés et avivés par l’enjeu collectif qui les dépasse tous, et exacerbe tensions et passions : le sort de l’île. L’enjeu tout à la fois le plus simple et le plus angoissant auquel puisse être confrontée une communauté : sa propre survie. Un enjeu qui se résoudra par un dilemme cornélien, qui n’est pas sans rappeler par sa formulation même l’actualité tout aussi brûlante à laquelle est désormais confrontée l’humanité (mais est-ce d’ailleurs une simple coïncidence ?). En bref, un magnifique manga, aussi bien par son parfum subtil, palpitant et captivant que par le flacon qui le contient. Et, puisque nous nous trouvons tout près des fêtes, un magnifique cadeau à faire (mais pour les grands plus que pour les petits).
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